Il a été - et continue sans doute de l’être - l’une des personnalités les plus influentes du Bénin. Surnommé " le renard de Djrègbé", chrétien engagé, irrigué par l’expérience de nombreux mouvements laïcs, il a, en 1996, sorti de sa retraite politique Mathieu Kérékou alors somnolant tranquillement sous les filaos. C’est également lui qui, en 2006, a pris la main de Boni Yayi, l’a montrée à tous en disant à sa manière son " ece homo" adoubeur. Plusieurs fois député et ministre, premier Médiateur de la République, il compte des amitiés dans tous les camps, même s’il reste le politique le plus controversé. J’ai travaillé avec lui pendant deux ans à la Médiation et j’ai été impressionné par le respect qu’il inspire à beaucoup et la crainte qu’il suscite chez nombre de ses adversaires. Son influence, au-delà du microcosme béninois, se mesure par sa capacité à mobiliser les fonds pour des causes supranationales et par son efficacité à faire venir au Bénin des personnalités du monde pour réfléchir sur des sujets de notre temps.

Albert Tévoèdjrè est certes retiré de la vie politique, mais il suit, l’śil alerte, les flux et influx de l’actualité, désormais vêtu de son nouveau manteau de Frère Melchior. " Je suis un homme de réflexion et d’action, me confia-t-il peu avant son départ de la Médiation, mais je me sentirai tout aussi utile aux hommes d’ici et d’ailleurs par la prière et le recueillement".
En l’absence d’une personnalité consensuelle pouvant réunir les politiques après la mort des hommes d’envergure, à défaut de compter sur des animateurs des institutions religieuses hier si impliquées dans le débat public, mais aujourd’hui suspectées de collaborer avec le pouvoir, Frère Melchior apparaît comme un recours ultime. Mais son passé tumultueux avec ses adversaires politiques ne plaide pas en sa faveur. Car, bien que retiré des arènes publiques, il continue de susciter chez certains des sentiments explosifs. Mais peut-on en vouloir à cet intellectuel passionné, obnubilé jour et nuit par la quête d’une Afrique libérée des scories du passé et inexorablement portée par son propre destin ? Quand je discute avec lui, je pense à un autre de ses congénères togolais, Edem Kodjo qui, comme lui, a rêvé le même rêve inachevé, mais avec des choix controversés.
A plus de quatre-vingts ans, le Renard sait que ses facéties contre le Corbeau n’ont été qu’une stratégie de survie et que le fromage qu’il lui a ôté de son bec en le flattant, aurait pu lui être restitué. Mais l’histoire nous enseigne que les grands hommes n’ont pas toujours emprunté les chemins les plus éclairés et que pour atteindre le sommet, quelques entorses faites à la morale peuvent être concédées. Cela n’enlève rien à l’envergure du personnage, à son intelligence et à son charisme. Mais alors, pourquoi s’en priverait-on ?
BLOG Florent COUAO –ZOTTI – Aout 2015